95-02-10 B-52
Lyon, France
Unverified
Setlist:
01. That's All I Ask
02. Last Goodbye
03. So Real
04. Dream Brother
05. Grace
06. Lilac Wine
07. Mojo Pin
08. Eternal Life (sort version)
09. Eternal Life
10. Lover, You Should've Come Over
11. Je N'en Connais Pas La Fin
12. Hallelujah
13. Vancouver
14. Kanga Roo
15. What Will You Say
Notes:
same taper as 8/2/95 Le Bikini

Excerpt of french review from article 'Get Your Soul Out' by Philippe Perret from the 18th issue (mars/april 1995) of the French music magazine L'INDIC (Philippe travelled in the tour bus with Jeff and crew for four of the february concerts 1995 in France):
Vendredi 10 février - Lyon
Vendredi 10 février. Arrivé à Lyon en début d'après-midi, à travers les embouteillages et la bruine, dans cette ville dont l'image pâtie actuellement des démêlés médiatico-juridiques de son maire. A 15 heures précises, a lieu une mini-conférence de presse, histoire d'approfondir le sujet et de mieux faire connaissance avec cet artiste si attachant.

Qu'est-ce que la Grace signifie pour toi ?

Ce n'est pas religieux, ni mystique. C'est très ordinaire. C'est cette chose qui rend les gens divins. C'est une qualité que j'apprécie énormément chez une personne. Particulièrement chez un homme car c'est très rare.

Que penses-tu des critiques qui trouvent que Grace est surproduit ?

Il y a un journaliste à New York qui m'adorait lorsque je me prosuisais en solo à Sin-é. Et subitement, quand Grace est sorti, il a déclaré : "J'ai été fou d'aimer Jeff Buckley ! Son album est totalement sur-produit. Bla-bla-bla ...". Il pense que je l'ai trahi car j'ai évolué. Quand je crée en studio, j'ai la possibilité d'expérimenter toutes les idées que j'ai en tête. Je peux dire : "J'ai besoin de ceci ! Je ne veux pas de cela !". C'est une sensation fantastique de pouvoir donner une existence à des sons, des émotions qu'on a en soi.

La plupart des chansons de l'album exprime la difficulté à gérer une rélation amoureuse et le déchirement qu'amène une séparation. Que t'a apporté le fait d'écrire ces chansons ?

De mes expériences amoureuses et de ce que j'ai exprimé dans Grace, j'ai appris à ne pas me reposer entièrement sur quelqu'un et à ne pas vivre à travers une personne.

En Europe, les critiques sont unanimement favorables alors qu'aux Etats-Unis cela semble différent. Comment expliques-tu cela ?

En Amérique, un critique rock très influent, qui écrit dans de nombreux magazines et dont l'opinion fait autorité, m'a carrément insulté ! Il pense que je suis perturbé, que je ne sais pas où je vais, que je m'éparpille. Il n'arrive pas à me cerner, à me classer et de ce fait, me rejette en bloc. Je ne suis pas dérangé ! Il y a juste que je ressens différentes émotions et que je les exprime de différentes manières, avec différents sons. Car c'est comme cela que ça doit sonner ! Les gens ont plusieurs personnalités à l'intérieur. Mais ils sont toujours eux-mêmes. Ils peuvent être naturellement sereins ou torturés. Chacun a en soi des états, des sentiments totalement opposés. Et la musique reflète ces paradoxes. Tous les arts le font. Mais la musique probablement plus que d'autres. Il y a quelque chose de spécial avec la musique qui rend les gens "fous" dès qu'ils l'écoutent. Ils la détestent ou ils l'adorent mais elle provoque plus de réactions qu'un film, une sculpture ou une peinture. C'est un art étrange... Celui qui se rapproche le plus du rêve. Je ne peux pas expliquer ou formuler un son. J'aimerais mais je ne peux pas.

Quels sont les artistes dont tu ressens le plus l'influence ?

Je crois que les artistes qui m'ont le plus marqué sont ceux que j'ai écoutés étant enfant comme Led Zeppelin, Joni Mitchell, MC5, Billie Holliday, Nina Simone, Patti Smith, John Lennon puis, plus tard Siouxie (j'ai beaucoup d'elle dans ma voix), Nick Cave (surtout quand il était dans Birthday Party), les Smiths... Je suis fans de milliers de gens. En les écoutant, ils me rappellent toutes les possibilités d'expression. C'est cela l'inspiration ! Actuellement, il y a toujours beaucoup de bonnes choses mais elles sont plus underground. L'émulation est une chose importante. C'est la raison pour laquelle les années 60/70 étaient si fantastiques. Il y a eu les Beatles et tout le monde a fait : "Oooouuaaahh!", puis Jimi Hendrix : Woohh ! On peut faire ça !" et ensuite James Brown, les Stones, les Beach Boys, les Doors, etc...

Les structures de tes chansons sont assez éloignées des formats habituels de la pop...

Oui, j'ai entendu tant de chansons bâties sur le même moule (couplet-refrain-couplet-refrain-pont-fin) que ça ne me satisfait plus. Je préfère avoir une approche plus libre de l'écriture. De ce point de vue, Bob Dylan est une de mes principales influences. Je n'ai que des éloges à lui faire. Il a rendu la poésie vivante et actuelle, alors que c'était quelque chose de dépassé. Et il a constamment renouvelé les règles de ce que doit être un artiste rock moderne. Je l'ai rencontré une fois. J'étais terrifié et il m'a dit quelque chose que je n'oublierai jamais : "Make a good album, man ! Just make a good album !". Et j'ai fait Grace.

Justement, comment vois-tu ton prochain album ?

En devenant un meiileur artiste, j'aimerais être plus capable d'exprimer la joie, le bonheur. Je ne veux pas être comme Sisters Of Mercy, toujours dépressif. J'aime Sisters Of Mercy mais je veux que ma musique reflète chaque part de ma vie. Tout ce que j'ai à faire, c'est m'exprimer, être moi-même. Je ne dois pas me cristalliser sur ce que j'ai déjà fait. Mon succès sera de réussir le prochain album.

L'entretien aurait pu encore se prolonger mais le manager intervient sèchement pour y mettre fin. Dommage ! Le soir-même, retour au B-52, un club de petite taille, à l'atmosphère feutrée, cadre idéal pour un concert intimiste et chaleureux. Le début du concert est perturbé par un petit problème de cablage que Buckley détourne à son avantage en se lançant dans une improvisation a capella pendant que le roadie s'affaire à changer le cable défaillant. Le concert se déroule ensuite normalement mais la performance de Jeff est un peu en-dessous de ce qu'il peut faire. Lui et son groupe semblent fatigués et un peu absents, ce soir-là. Comme s'il y a quelque chose dans l'air qu'il n'arrivait pas à saisir continuellement. D'un Mojo pin débordant d'intensité électrique, il passe à un Lilac wine approximatif. Mais il ne perd pas pour autant sa formidable aptitude à dialoguer avec le public, à l'amuser pour mieux asséner ensuite un Eternal life dévastateur.